Vingt-huit heures plus tard, rien de moins, Ezer Elisabeth venait à peine d’ouvrir les yeux, complètement engourdie après de si longues heures dans sa léthargie. Elle les referma aussitôt. Elle écoutait sans écouter, toujours dans les bras de Morphée. Elle ne comprenait pas ce qui avait bien pu la réveiller. Alors, une seconde fois, elle ouït quelque chose tout près. Elle émit un espèce de grognement qui était plutôt une lassitude révélée.
« Ezer, ouvre cette porte!»
Elle sursauta, c’était plus fort qu’elle. Elle sentait ses membres frigorifiés par leur inaction prolongée. Les cheveux en désordre, l’oreille encore marquée au visage, elle s’était levée avec un grand mal avant d’entendre la voix se répéter :
« Mais bon sang, que fais-tu donc?»
Elle avait peine à comprendre se qui se déroulait. En déverrouillant sa porte, elle tomba face à face avec Raphaël Shertz. Incapable de savoir si elle devait le laisser entrer ou discuter sur le pan de la porte, elle eut comme simple réflexe de le saluer avec chaleur. Un baiser sur chaque joue suffit alors qu’il pénétrait de apr lui-même dans son appartement.
«Cela fait dix heures que mon père te cherche, veux-tu bien me dire ce que tu fabriques? Et tu n’as pas oublié que dans trois jours tu dois nous présenter ton nouveau projet?»
Elle s’était retenue par le cadre de la porte, totalement dépassé par l’arrivée soudaine de Raphaël qui lui parlait de ci et de cela! Bref, elle était encore plus confuse qu’à son réveil. Une main dans sa chevelure suffit à la faire réagir. Refermant la porte de ses appartements, elle répondit avec une douceur endormie :
«Je dormais, Shertz, il n’y a pas à s’en faire. Et non, je n’ai pas oublié. »
Elle s’étira malgré elle, un peu déçue de n’avoir pas pu terminer son sommeil en douceur. Une nouvelle fois, elle ébouriffa sa chevelure avant de se diriger vers la salle de bain. Passant de l’eau bien froide sur son visage, elle se sentit miraculeusement mieux. Dans la cuisine, elle pouvait entendre le fils Shertz fouiller dans les armoires dans l’espoir de trouve elle-ne-savait-quoi! Enfin bref, elle dût quitter ce léger instant de quiétude pour retourner en sa compagnie.
Elle soupira, l’invitant délicatement à prendre place dans les fauteuils du salon. Elle alla faire du café, en écoutant patiemment tout ce que Raphaël avait à lui transmettre. Ah? Karl s’était inquiété? Ah? Le conseil était près à accueillir ses nouvelles idées pour le prochain mois? Vraiment, un tas de trucs intéressants dont elle en oubliait quelques-uns, préoccupée par son plateau à café qu’elle venait à peine de faire, répandant une odeur matinale alors que le soleil allait bientôt se coucher. Elle s’installa à son tour, toujours aussi attentive qu’à son habitude avant de verser le liquide bouillant dans les tasses spécialement apportées pour la conversation. Elle apprit ainsi que Shertz - le fils, bien entendu- allait probablement rendre visite au laboratoire le lendemain matin. Interloquée, la belle scientifique le coupa vivement :
« Raphaël, je dois te proposer une mission de la plus haute importance : demain lorsque tu seras au laboratoire, dis à Kim Jerby Hinton que j’aurais infiniment besoin de lui demain au courant de la matinée… Pourrais-tu le faire pour moi, s’il te plait?»
Bien sûr qu’il le pouvait! Il avait même ri à la voir si soudainement illuminée par sa demande. Il le pouvait. De toute manière, il devrait rester toute la journée à Färos pour être au courant des avancements qui se produisaient là-bas! De toute évidence, il croiserait le Vice-Président… Et ce que la Présidente souhaitait, la Présidente l’aurait! Ils discutèrent encore une petite heure avant que le vaillant fils unique Shertz ne lève les voiles. Soulagée d’avoir eu un peu de visite, mais aussi quelques nouvelles du monde extérieur, Ezer resta un moment dans un silence total. Elle devait néanmoins se mettre à l’œuvre pour le lendemain! Dans la poche de sa blouse blanche qui, elle aussi, avait couchée sur son lit, elle y découvrit l’appareil merveilleux qu’Hinton venait tout juste d’inventer. Ce soir, il lui serait d’une grande utilité. Elle courut à la douche, se prépara d’une manière présentable et après trois longues heures d’essais-erreurs, elle réussit à concocter quelque chose de potable qu’elle aurait tout le loisir de révéler à son bras droit de`s le lendemain. D’ici-là, elle se quitta ses vêtements habituels pour un pyjama confortable et retourna dans son lit jusqu’au petit matin, pour de bon.
Près de trois jours étaient passés depuis le départ d’Ezer de la base alpha de Färos. Elle s’en portait pour le mieux! Attifée d’une robe bleu et blanche, elle siégeait devant sa coiffeuse en maquillant son regard. Ses habitudes ne changeaient pas. Elle finissait à peine de se poudrer lorsqu’elle entendit un son étrange provenant de l’intercom de l’entrée. «Mademoiselle Heim? Vous avez la visite de Monsieur Blackwood». Son cœur fit un bon! Dereck! Il était venu lui rendre une visite surprise? Elle accourut aussitôt dans l’antre de son appartement. «Faites-le entrer, je vous prie… Et dites-lui que la porte sera débarrée». Elle avait dit tout cela en un trait avant d’accourir à la salle de bain où elle termina sa préparation rapide : on brosse ses longs cheveux, on se les place. Un peu de rouge à lèvres ici et…
« Izie? Si tu ne viens pas tout de suite m’accueillir, je te préviens : j’irai moi-même te chercher!» Cette voix ne put que la réjouir alors qu’elle se retourna pour accueillir son vieil ami avec une accolade qui dura quelques minutes. Elle était si heureuse de pouvoir enfin le voir ne serait-ce que pour une heure! Elle avait distraitement regardé l’horloge de la cuisine : 9h30. Oh, elle avait au moins trente petites minutes si Raphaël avait bien apporté le message à destination!
Ils discutèrent de tout, de rien. Elle s’était mise à rire de bon cœur, partageant les étreintes qu’il lui accordait avec un grand bonheur! Que ferait-elle sans Drake! Elle qui avait cru être seule, elle ne l’était pas tant que ça, tout compte fait! Cependant, tout moment a une fin… Et cette fin était sur le point d’arriver lorsque l’intercom se remit en marche : «Mademoiselle Heim? Monsieur Hinton est là pour vous». Sans s’en rendre compte, le temps s’était écoulé, et à son grand dam, elle dût se résoudre à aller répondre! C’était quand même elle qui avait invité Kim à Phoenix! Elle fit exactement le même geste qu’elle avait posé l’heure d’avant, et d’une voix douce qu’elle entretenait avec beaucoup de soin, elle répondit : «Dites-lui de monter. »
La commutation fut rompue. Elle fit alors une moue déçue à son amie qui vint la rejoindre : «Allons, Iizie, tu sais bien que nous aurons d’autres temps pour nous voir?». Elle atrapa son bras qu’elle mit volontairement autour de son cou, laissant tomber l’une de ses bretelles par inadvertance : «Je sais, mais tu me manques!... Et puis qui sait, peut-être trouveras-tu une jolie fille qui prendra ma place!». Moqueuse, elle l’entrainait par le fait même par la porte avant qu’il prenne les devants en la prenant chevaleresquement dans ses bras, elle qui riait et qui avait crié : «Dépose-moi tout de suite, Drake!» . Elle n’en pouvait plus! Garder son sérieux? Elle n’était même capable. Il al faisait valser, tournoyer dans tous les sens. Ah, elle était si loin, cette jeunesse où ils passaient leur temps à jouer ainsi! Elle se contenta de lui demander à plus de cinq reprises avant qu’il n’agisse en conséquence en lui disant : «oh, mais je t’ai déposé… Qu’est-ce qu’on dit à Blackwood pour cet acte valeureux?». Elle eut un ricanement taquin avant de lui prendre le visage d’une main en lui balançant : « Pfff, tu sais très bien que je suis meilleure que toi à ce jeu, n’essaie pas de me surpasser!». Elle se dirigeait vers la porte, un peu à contrecoeur. «Le devoir m’appelle, me le pardonneras-tu?». Elle avait ouvert la porte au même moment, ne remarquant pas la présence de Kim au bout du couloir. Dereck, lui, dans sa vivacité d’action et d’esprit avait déjà pris la main de sa belle en lui rendant le plus mielleux des sourires : «Izie, charmante Izie, tu sais bien que tu es l'unique femme qui fait battre mon cœur! Comment pourrais-je t’en vouloir avec d’aussi beaux yeux, dis-le-moi!». Elle rit avant de lui embrasser la joue avec chaleur et de lui murmurer, avec l’accent le plus moqueur qui soit : «T’es qu’un idiot, Dereck Blackwood. Allez, file!». Elle le regarda tourner les talons avec un grand geste d’adieu quelque part entre la révérence et la salutation. Quel personnage! Quel amour était-il! Elle se rappelait soudainement pourquoi ils étaient meilleurs amis…
Soudainement, alors qu’elle rêvassait, elle s’aperçut bien vite que son rendez-vous était présent, observateur de la scène. Elle lui offrit alors toute son attention avant de lui sourire avec une grande tendresse… Un peu inhabituelle, il fallait l’admettre :
«Ah, Kim! Bonjour! Je te remercie de passer aussi vite!» Elle s’était écartée du cadre de la porte, l’invitant à pénétrer dans son humble demeure : «Entre, je t’en prie!Fais comme chez-toi. »
Ezer ne se doutait pourtant pas que ses gestes avaient pu être pris avec une toute autre envergure qu’elle le croyait. Aussi innocent était ses sentiments en aimant secrètement son meilleur ami, aussi innocent était sa grande amitié pour son Vice-Président. Elle balaya sa chevelure avant de remonter discrètement sa bretelle qui avait glissé, par inadvertance… Elle attendit donc les premiers gestes de son collègue, toujours aussi chaleureuse et rayonnante… cela changeait des derniers instants que tous deux avaient passés en compagnie de l’autre… Elle avait d’ailleurs des excuses à lui donner. C’était inadmissible d’avoir agi de la sorte.